Ïåðåéòè ê îáúåêòó ñ ýòîé ññûëêîé íà ãëàâíîé ::: Ïåðåéòè íà ñòðàíèöó îáúåêòà ñ ýòîé ññûëêîé
   ::: ::: Ññûëêè äëÿ âñòàâêè ::: ñîçäàòü html
íå ïîêàçûâàòü ñîäåðæàíèå òåêñòîâîãî ïîëÿ ñâåðõó Ðåäàêòèðîâàòü â òåêñòîâîì ðåäàêòîðå
Ïîêàçàòü ñîäåðæàíèå ñòðàíèöû

ID2_893 :: Êîïèÿ ñîäåðæàíèÿ ñòðàíèöû:
[ïåðåâîä]   http://www.saint-jacques.info/reliques_guiber...
Àáåëü Ëåôðàíê, "Äîãîâîð ìîùåé Guibert Íîæàí è íà÷àëà èñòîðè÷åñêîé êðèòèêè â ñðåäíèå âåêà" Èññëåäîâàíèÿ â ñðåäíåâåêîâîé èñòîðèè ïîñâÿùåííàÿ Ãàáðèýëÿ Ìîíî (Ïàðèæ, 1896), ñ. 285-306

«Òðåòüÿ êíèãà Äå Âèòà áûëà ñîñòàâëåíà îêîëî 1115, ïî ìíåíèþ êðóïíåéøèõ âåðîÿòíîñòåé. De pignoribus áûëî íåñêîëüêî ëåò âíèìàòåëüíî ñëåäèòü. Ñëó÷àå ñîñòàâ ýòîãî ïàìÿòíîãî äîãîâîðà áûëî óòâåðæäåíèå, ÷òî âûäàë ìîíàõîâ Ñåí-Ìåäàð äå Ñóàññîí, íåäàëåêî îò àááàòñòâà Íîæàí, îáëàäàþò çóá Õðèñòà.»
Ðàçìåð ñîäåðæàíèÿ êîïèè:     4E-005 Ãá. / 0.0408 Ìá. / 41.78418 Êá. / 42787 áàéò

Connatre saint Jacques - Comprendre Compostelle
page tablie en mars 2003
Accueilmise   jour le 26 septembre, 2006Corps, reliques et sanctuaires de saint Jacques survol du sitePage prcdente
 

Les reliques, vues par un moine du XIIe sicle

Au dbut du XIIe sicle, le moine Guibert de Nogent (n en 1053) fut d’abord moine   Saint-Germer-de-Fly (Oise) puis moine de Nogent-sous-Coucy (Aisne) de 1104   1125. Dot d’une solide instruction, il a beaucoup crit en particulier un rcit de sa vie. Dans son Trait des reliques, il critique vivement le culte des reliques tel qu’il est pratiqu   son poque. Il n’est pas hrtique, son ouvrage n’est pas condamn (il n’est pas destin   sortir des monastres), ce qui prouve que son raisonnement est parfaitement admissible et que l’Eglise n’est pas dupe.
En 1896, Abel Lefranc* analyse cette uvre qu’il replace dans son contexte, dans un article qui n’a pas vieilli. Il tend   prouver que nos anctres du Moyen Age n’taient pas plus crdules que nous, tout en soulignant que la pit populaire a besoin de merveilleux, ce fameux « rve » auquel s’accrochent aujourd’hui tant de plerins de Compostelle.
Si Guibert dtruit un certain nombre de croyances, il n’oublie pas d’affirmer « que ceux qui vnrent de bonne foi les reliques d'un saint pour celles d'un autre ne pchent point, et que la prire adresse   une me donne   tort comme sainte est susceptible d'tre agre de Dieu, pourvu qu'elle parte d'un cur simple et fervent. »
Des reliquaires ont disparu en quantits impressionnantes, surtout au moment des guerres de Religion et   la Rvolution. Ceux qui subsistent, souvent privs de leurs reliques, ont perdu toute signification en entrant dans des muses. D’autres, plus modestes, ont t remiss trop vite dans la poussire des placards de sacristie. Ce sont souvent ceux qui ont t refaits au XIXe sicle pour combler la pit populaire lasse de tant de destructions et toujours aussi avide de merveilleux. Toutes les reliques survivantes mritent d’tre remises en honneur. Tout comme au XIIe sicle, elles sont un support   la prire et sont, par les ftes qu’elles occasionnent, un ciment des communauts paroissiales, mme si nos esprits rationalistes savent bien qu’elles sont toutes fausses.
* Etudes d’histoire du Moyen Age ddies   Gabriel Monod, reprints Genve 1975, p. 196-306

Le troisime livre du De Vita a t compos vers 1115, selon les plus grandes vraisemblances. Le De pignoribus dut suivre   peu d'annes prs. L'occasion de la composition de ce mmorable trait fut la prtention qu'avaient mise les religieux de Saint-Mdard de Soissons, abbaye proche de celle de Nogent, de possder une dent du Christ.

Faut-il supposer qu'en s'attaquant   cette relique l'auteur obissait   une de ces sourdes rivalits monacales telles qu'en amenrent, en plus d'un cas, le voisinage et l'opposition des intrts ? Je ne le crois pas. Rien n'indique que les deux abbayes aient jamais vcu en mauvais termes, et Guibert, qui, d'ailleurs, fut personnellement li avec un abb de Saint-Mdard, n'tait pas homme   faire servir ses crits   des rancunes particulires. videmment, il n'y eut, dans son entreprise, d'autre mobile qu'une question de principes. Une prtention aussi absurde allait   l'encontre de ses convictions les plus chres, et nous avons vu que, depuis la publication des Gesta, sa doctrine en pareille matire n'tait plus un mystre pour personne.

Mais un autre problme plus important se pose. En composant une uvre qui s'cartait si profondment des tendances rgnantes, l'auteur a-t-il obi   une influence littraire ou philosophique dtermine? La solution peut tre donne avec certitude. Une autorit a srement contribu   lui procurer, si je puis dire, l'assurance ncessaire pour aller   l'encontre de tant de pratiques superstitieuses et des puissants intrts matriels qui s'y rattachaient. Cette autorit n'est autre que saint Augustin qui, concidence vraiment singulire, fournira aussi plus tard   Calvin non seulement le point de dpart de son Trait des Reliques, mais encore toute une srie de textes cits avec complaisance par le Rformateur genevois, heureux d'en tayer ses arguments. C'est dans ses ouvrages intituls : De opere monachorum, De sermone Domini ut monte. Contra Adimantium, De vera religione, etc., que saint Augustin a abord ce sujet, en formulant sur le culte des reliques et leurs translations des critiques assez nombreuses, encore que trop timides. Il dclare, en effet, dans la Cit de Dieu (xxn, 13) qu'il n'ose parler librement sur plusieurs abus de cette nature, de peur de donner occasion de scandale   des personnes pieuses ou   des brouillons[1].

Le rapprochement des noms de Guibert et de saint Augustin n'est pas fait pour surprendre. Nous savons par l'ensemble des uvres de l'auteur du De pignoribus qu'il avait fait une tude particulire de l'vque d'Hippone, vers lequel il s'tait de bonne heure senti attirer. La lecture du De vita suffirait   prouver qu'il a pouss cette admiration si loin qu'il en est arriv   s'inspirer trop directement du grand docteur dans le rcit des vnements de sa propre existence. Quoi qu'il en soit, l'empreinte d'Augustin est sensible dans le trait qui nous occupe. Si l'on n'y trouve explicitement cits que deux textes emprunts   ses ouvrages, on devine aisment en d'autres endroits l'influencede certaines de ses ides, notamment en ce qui touche les translations. Guibert avait t conduit vers ce matre de la philosophie chrtienne par l'homme illustre dont il s'honorait d'tre l'ami, Anselme de Cantorbry[2], qui tait lui-mme, on le sait, le disciple par excellence de saint Augustin, auquel il avait d l'veil de la plus grande de ses penses. Disons,   ce propos, que l'action d'un penseur aussi remarquable, sincrement pris de rationalisme, a d tre profonde sur l'esprit de Guibert, en contribuant   lui donner le got des ides leves et de la rflexion indpendante. En ralit, l'uvre propre de notre crivain a surtout consist   appliquer aux choses de la vie pratique,   celles du culte et aux faits de l'histoire, les principes de libert que ses contemporains, un Brenger de Tours, un Roscelin, un saint Anselme, un Ablard[3], s'efforaient de dvelopper dans le domaine de la philosophie.

Mais, si son action a pu tre inspire ou facilite, dans une certaine mesure, par des ouvrages antrieurs ou contemporains, l'originalit de sa tentative n'en reste pas moins entire. Il est le premier qui, sur les questions du culte des saints et de leurs reliques, ait essay d'exposer une vue d'ensemble, systmatique et rationnelle, autant que le permettait l'tat des connaissances, et il est all, sur ce point, bien au del de saint Augustin lui-mme, qui n'a t pour lui qu'un lointain initiateur et aussi peut-tre une sauvegarde ventuelle.   

Le De pignoribus est ddi   Eudes, abb de Saint-Symphorien, prs de Beauvais, qui devint plus tard vque de cette ville et que l'auteur avait probablement connu pendant son sjour au monastre de Saint-Germer de Flaix. La ddicace raconte les origines de l'ouvrage. En voulant seulement tudier les divers problmes qui se posaient   propos de la dent du Christ de ses voisins de Saint-Mdard de Soissons, Guibert s'est trouv entran beaucoup plus loin qu'il ne le prvoyait. Il s'excuse de n'aborder le vritable sujet de son travail que dans le IIIe livre, mais les considrations qui occupent les deux premiers livres taient,   ses yeux, indispensables. C'est aussi l'avis du critique moderne. Il rpond ensuite   un certain nombre de critiques et d'observations qui lui avaient t adresses par ses premiers lecteurs, ce que l'apparition de l’uvre n'alla point sans provoquer les commentaires. Le Ier livre a un caractre tout a fait gnral ; il apparat mme comme le plus important du trait. Guibert n'a rien crit de plus intelligent ni de plus hardi. C'est l qu'il faut chercher sa profession en matire de critique historique. Habilement, il dbute par une affirmation qui place tout de suite la question souleve par la prtention des moines de Saint-Mdard sur un terrain des plus favorable   la thse ngative qu'il va soutenir.« S'il est mal de se tromper sur les conditionsde la rsurrection gnrale des hommes combien n'est-il pas plus criminel de supposer que quelque partie de son corps ait pu manquer au Matre de toutes les cratures, lors de sa rsurrection ! ». Et l’argumentation se poursuit alerte, incisive, rappelant   s’y tromper la dialectique dont Calvin usera plus tard en pareille matire : « Puisque toute l'esprance des mortels repose, en ce qui concerne la rsurrection, sur l'exemple donn par Jsus-Christ, il est hors de doute que les consquences de la promesse divine se trouveront ncessairement confirmes si l'on constate chez l'auteur mme de la promesse soit quelque dfaillance dans sa puissance d'action, soit quelque lacune dans la ralisation des choses promises. Car, lorsque celui qui promet ne tient pas ce qu'il avait annonc, ou bien il est accus de tromperie, ou bien il prouve que sa puissance est infrieure   celle qu il devait manifester et par laquelle il devait affirmer sa supriorit. Donc, qu’on ose retrancher quelque chose   Dieu en diminuant sa puissance, ou qu'on l’accuse d'infidlit dans l'accomplissement de ses promesses : il y a deux alternatives galement horribles   concevoir et que personne n’oserait affronter sans des intentions blasphmatoires. La raison ne saurait imaginer, en effet, quelque chose de plus impie et qui insulte davantage   la croyance universelle ».

Tel est le raisonnement de forme syllogistique, prsent en une langue nerveuse et prcise et dont la traduction ne peut qu’affaiblir le relief par lequel dbute notre trait, en montrant que l’existence d'une clique du corps du Christ est en contradiction avec le dogme de sa rsurrection. Guibert se hte d'en dduire des consquences assez transparentes. Comment admettre, selon lui, que dans l’intrt troit d’glises particulires, des atteintes aussi graves, telles que celles qui rsultent fatalement de semblables inventions aient t porte   la foi chrtienne? Cela revient   couvrir la main de lourds ornements d’or, au risque de paralyser par leur poids l'action de tout le reste du corps.

Quel inutile accroissement de beaut que celui qui donne plus d'clat   une seule partie et compromet l'existence de l'ensemble ! Assurment, la diversit des coutumes des glises, et au point de vue des pratiques du culte, ne compromet nullement l'intgrit de la foi catholique. Il y a des conditions essentielles, telles que le baptme et l'eucharistie, sans lesquelles un homme ne saurait tre considr comme chrtien. Mais on peut galement admettre qu'il suffit de la foi,   dfaut de tout autre lment, pour obtenir le salut. A plus forte raison existe-t-il beaucoup d'actes religieux qui ne sont pas absolument indispensables pour russir   tre sauv. On peut trs bien mener une vie irrprochable et s'abstenir de ces pratiques. Tout ce qui se rattache aux corps des saints et aux objets qui ont t   leur usage rentre prcisment dans cette catgorie. Ce culte est d'un caractre d'autant plus facultatif qu'il n'offre le plus souvent que des garanties tout   fait illusoires. Les questions d'authenticit laissent place   toute sorte de rserves. Ce n'est pas la croyance populaire, mais l'antiquit de la tradition ou le tmoignage d'crivains vridiques qui devrait dcider de la saintet d'un personnage. Quelle garantie y a-t-il lorsque le culte ne repose sur aucun souvenir srieux, ni sur des crits authentiques, ni sur des miracles dment constats ? Et encore, quand on parle de tmoignages crits, il faut s'entendre. La plupart des relations composes sur les saints sont si suspectes que leur mmoire en peut tre plutt salie que glorifie chez les infidles« Mme quand elles racontent des choses vraies, elles sont rdiges en un style si grossier, si vulgaire, si terre   terre, et avec si peu d'ordre, que l o elles ne le sont justement pas, elles font encore l'effet d'tre fausses. » Et le rquisitoire continue plus vif et plus hardi. L'auteur fait observer que mme pour ce qui concerne une partie des aptres, leur vie apparat entoure d'une si grande obscurit qu'elle prte aux inventions les plus fantaisistes. Combien cette incertitude ne doit-elle pas tre plus marque pour des saints moins importants! Il expose alors — et c'est l un des passages instructifs par excellence du livre, — comment les lgendes hagiographiques naissent et se dveloppent. Nous avons ici ce qu'on peut appeler la psychologie du groupe des saints inconnus, c'est--dire de ceux dont on est condamn   ignorer toujours les commencements, la carrire et la mort mme. Le rle de l'lment populaire dans ce domaine est indiqu avec une extrme justesse. Plusieurs histoires curieuses viennent   l'appui de ces rflexions, celle-ci par exemple. Un certain abb est honor sous le nom de saint Pyron. Guibert, intrigu, cherche   se rendre compte des origines de son culte. Il dcouvre qu'il a atteint le comble de la saintet : le pieux abb pris de boisson est tomb dans un puits et s'y est noy.

Ces exemples cits, l'auteur demande avec raison qu'on s'inquite, avant de proposer un mort   la vnration des fidles, de savoir s'il a t bon ou mauvais durant sa vie. Avant de prier un saint, il importe de ne pas avoir de doute sur la ralit de sa saintet. Les prtres ont tort de ne pas chercher   arrter les abus auxquels se laisse aller le vulgaire sur ce point. Elever sans cause un homme au rang de bienheureux, c'est le parer de titres faux et sacrilges. Le devoir de rgulariser le culte des saints devrait appartenir exclusivement aux prlats[4]. Les prodiges extrieurs ne suffisent pas   tablir la saintet. Guibert a vu de ses yeux le roi Louis VI, qui certes ne prtendait pas   cette dernire, gurir les crouelles. Il y a des gens qui servent d'instruments aux miracles, sans que ce rle ait aucune signification au pointde vue de leurs mrites propres. Les actes authentiques des saints servent   la gloire de Dieu, pendant que les faux ne font qu'y porter atteinte. Qu'y a-t-il de moins difiant que l'histoire dont l'abb de Nogent certifie avoir t tmoin ? Un enfant, fils d'un chevalier du Beauvaisis et parent d'un personnage ecclsiastique trs en vue, vient   mourir un vendredi saint. Le bruit de sa saintet se rpand, sans doute en raison du caractre sacr du jour de sa mort. Aussitt les paysans des environs, toujours amis des nouveauts, s'empressent d'apporter des offrandes et des cierges   son tombeau. On lui lve un monument, bientt entour lui-mme de constructions, et les plerins d'y affluer en foules considrables depuis les confins de. l'Angleterre. L'abb du monastre de la rgion, homme des plus sages, assistait avec ses moines   toutes ces impostures, et, incapable de rsister   la sduction des nombreux prsents que ce culte valait   son couvent, il allait jusqu' laisser s'accomplir de prtendus miracles sans aucune ralit, infecta miracula[5].

 

A la suite de ce rcit, Guibert est amen   nous faire sur ce chapitre dlicat sa propre confession, et avec quelle spirituelle bonhomie! Aprs avoir insist sur le ct charlatanesque des tournes de reliques, il nous conte comment un jour il lui arriva d'assister   la harangue, il vaudrait mieux traduire : au boniment — fait par le chef d'un de ces cortges de quteurs. L'homme montrait la chsse remplie de reliques insignes : « Sachez, s'criait-il, sachez que dans cette petite bote est renferm un morceau du pain que notre Sauveur a broy — masticavit —de ses propres dents. Et si vous hsitez   me croire, voil un minent personnage (c'est de moi qu'il parlait, dit Guibert), dont vous connaissez tous la vaste science, qui pourra confirmer mon dire, s'il en est besoin. » — J'ai rougi, avoue notre auteur en entendant ces paroles, intimid surtout par la prsence de tous ces gens que je savais disposs   dfendre le fourbe. Je me suis tu, plus pour viter les invectives des assistants que par crainte de l'orateur lui-mme, que j'aurais d sur-le-champ dnoncer comme faussaire. Que dirai-je ? Ni les moines, ni les clercs ne s'abstiennent de ces honteux trafics, au point de faire, en ma prsence et sans que j'aie le courage de m'y opposer, des dclarations hrtiques touchant notre foi. C'est le cas de rpter le mot de Boce : Jure insanus judicarer, si contra insanos altercarer. Ici comme ailleurs, l'abb de Nogent ne laisse chapper aucune occasion de dnoncer, comme elles le mritent, les superstitions populaires (V. aussi l. III, ch. I).

Il aborde avec le chapitre III l'tude des caractres de la vraie saintet. A ses yeux, prier   l'aventure un prtendu saint, dont on ne sait rien, sauf le nom, constitue un vritable pch. La plus grande circonspection doit donc prsider   la rdaction des compositions hagiographiques. Quoi de plus illogique que de voit entreprendre pour la premire fois,   l'poque actuelle, des biographies de saints pour lesquels on revendique, d'autre part, la plus haute antiquit? On a souvent demand   l'auteur d'en crire de semblables. « Mais, dit-il, si je me trompe dans les choses mmes que j'ai vues de mes yeux, que pourrai-je dire de vridique sur celles que personne n'a jamais vues ? » Parole profonde, s'il en fut, qui seule suffirait   assigner une place minente   celui qui a os la prononcer, en un temps o la vrit qu'elle exprime n'avait jamais t davantage mconnue et mprise[6]'. Et Guibert continue en se moquant plaisamment de ses solliciteurs. Ces fraudes d'ordre littraire le ramnent   la question des reliques incontestablement fausses et que cependant la foi admet avec certitude. Trois exemples serventde commentaire   ses observations gnrales : d'abord le prtendu crne de saint Jean-Baptiste que les villes d'Angers et de Constantinople prtendent possder toutes les deux, ce qui suppose que la fraude et le mensonge sont au moins d'un ct ; ensuite l'histoire de la dcouverte suppose du corps de S. Firmin   Amiens, faite par S. Geoffroy,   qui notre abb avait succd   la tte de l'abbaye de Nogent. Nulle part peut-tre Guibert ne s'est montr critique plus perspicace, et les rudits modernes qui se sont occups de la question sont loin de l'galer sous le rapport de l'indpendance du jugement[7] '. En dernier lieu, le rcit de l'amusante confusion commise   propos de la prtendue invention de S. Exupre.

Je signalerai seulement au passage les dveloppements si justes consacrs aux deux thses chres   l'auteur, dans lesquels il combat l'usage des chsses et des reliquaires d'or et d'argent, en mme temps que les exhumations et les translations de corps saints ou rputs tels. Il s'lve dans ces pages   une hauteur de vues vraiment remarquable ; on y constate   quel point sa pense avait mri, combien ses ides s'taient affermies et prcises, depuis le temps o il lanait ses premires attaques contre ces usages abusifs.

Craignant sans doute d'avoir contrist quelques mes pieuses, l'auteur termine son premier livre sur plusieurs assurances consolantes. Il expose que ceux qui vnrent de bonne foi les reliques d'un saint pour celles d'un autre, ne pchent point, et que la prire adresse   une me donne   tort comme sainte est susceptible d'tre agre de Dieu, pourvu qu'elle parte d'un cur simple et fervent.

Avec ce livre se termine la partie gnrale du trait. Je me bornerai   indiquer-en quelques mots la substance des trois autres livres, non moins attrayants   leur manire, mais d'une porte plus spciale. Le second traite du corps vritable du Christ et de celui qui se manifeste dans le sacrement de l'autel. La dmonstration commence dans ce livre (ch. i et 11) et continue au livre suivant (ch. i et ni § 4),   l'aide de laquelle Guibert prouve que le Christ n'a pu laisser sur la terre aucun fragment de son corps, pas plus une dent que telles autres reliques qu'il vaut mieux nommer en latin[8], est un chef-d'uvre de dialectique. Avec quel sens de la ralit il remarque, par exemple, que les contemporains de Jsus, surtout pendant ses annes de jeunesse, n'ont jamais pu se proccuper de conserver quoi que ce soit d'un personnage dont ils ignoraient le caractre et qui n'tait   leurs yeux rien de plus que tout autre de leurs concitoyens. Chemin faisant, que de donnes curieuses sur les ravages de la simonie (ch. m §6), sur l'indignit de trop nombreux prtres et vques et sur les consquences de ce relchement (ch. ni, § 4). Mais c'est surtout dans le IIIe livre, o les questions spcialement relatives   l'existence de la dent sont examines et rsolues, que l'loquent moine a dploy sa verve la plus puissante. Il y a l des traits d'ironie dignes tout ensemble de Rabelais, de Calvin et de Voltaire. Les objections des religieux de Saint-Mdard, traits durement de faussaires (ch. i, § 3), les miracles prtendus qu'ils allguent, leurs calculs avides et ceux de leurs pareils : tout cela est rduit   nant ou dvoil avec une logique suprieure. On peut y voir la digne conclusion du trait, puisque le IVe livre, De interiori mundo, a un but plutt mystique et thologique. L'abb de Nogent traite dans ces pages de questions relatives aux visions et aux apparitions. « II enseigne que le monde intrieur n'ayant rien qui frappe le sens, l'imagination ne peut se reprsenter l'tat de ce monde et qu'il n'y a que la force de l'entendement qui puisse y atteindre. Les visions et les apparitions dont il est parl dans les livres de l'Ecriture Sainte taient seulement des signes et des figures sous lesquels Dieu apparaissait aux prophtes[9] » II en est de mme des visions dcrites par S. Jean dans l'Apocalypse. Ce livre doit, dans la pense de l'auteur, opposer les choses dumonde spirituel, la contemplation divine, l'idale perfection, aux superstitions grossires nettement matrialistes, qu'il s'est charg de mettre   nu. C'est, si l'on veut, la partie positive d'dification aprs la critique destructive des abus du culte.

Tel est cet ouvrage d'une probit parfaite et d'une nouveaut si haute, o, par une prcieuse rencontre, le talent de l'crivain va de pair avec l'originalit de ses ides. Le cri d'alarme qu'il a pouss avec tant de loyaut ne semble pas avoir t entendu de son sicle, encore que l'glise ait accept plus tard, par la force des choses, quelques-unes des rformes qu'il proposait. Mais, comme il arrive pour chaque effort ralis dans l'intrt de la vrit, sa tentative n'a pas t strile.

Elle a contribu, pour sa part,   l'uvre de rgnration qui a sauvegard et purifi le sentiment religieux, compromis par les calculs les moins respectables. Cette entreprise salutaire, Wiclef l'a reprise deux sicles plus tard, en largissant, il est vrai, le terrain de la discussion, puisqu'il attaque le culte des saints comme, rendant inutile la mdiation de Jsus-Christ, mais sans laborer aucune tude d'ensemble. Pour dcouvrir un ouvrage susceptible d'tre rapproch de celui de Guibert, groupant comme le sien des lments nombreux de discussion, bas sur des principes de critique srieuse et inspir par des proccupations d'ordre gnral, il faut descendre, je le rpte, jusqu' l'poque de la Rforme, en plein XVIe sicle. Un autre Picard, le fondateur et le chef du protestantisme franais, Jean Calvin, n   quelques lieues   peine de l'abbaye o vcut Guibert, a le premier donn un pendant   l'uvre de l'auteur du De pignoribus sanctorum. Il put y ajouter naturellement des aperus nouveaux que rendaient faciles les progrs raliss dans l'intervalle. Mais, au fond, le point de vue est le mme et souvent aussi l'argumentation se ressemble trangement, bien qu'aucun rapport ne puisse tre tabli entre les deux traits, puisque celui du moine tait demeur manuscrit et qu'il n'en existait trs probablement qu'un seul exemplaire. Ces deux hommes, si loigns par le temps, se sont ainsi rencontrs sur le terrain de la critique historique, se fondant sur les mmes invraisemblances, usant des mmes autorits, citant les mmes textes et les mmes reliques ; et ce n'est pas le moindre titre de gloire de Guibert que d'avoir, plus de cinq sicles avant la Renaissance, prononc des jugements que la puissante logique d'un Calvin n'a point ddaign d'tablir   nouveau. Il est telle plaisanterie, celle relative aux deux chefs de saint Jean-Baptiste, par exemple, qui, rapprochement singulier, se retrouve mot pour mot dans le Trait des Reliques[10] du Rformateur noyonnais, et telle autre qui rappelle   s'y tromper les plus fines mchancets de Bayle et de Voltaire. Qu'on puisse rapprocher de tels noms celui du modeste moine picard, c'est ce qui prouve assez quelle place exceptionnelle il convient de lui assigner dans l'histoire de la pense au moyen ge, et avec quelle sympathie l'rudit moderne doit aborder l'tude de son uvre, qui est celle d'un anctre et d'un prcurseur.

 


[1] Cf liv 1 ch Ier (col 614) , Guibert cite le De sermone Domini in Monte et le Contra Adimantium. Au ch. 4, § l, du mme livre, l'auteur s'inspire vraisemblablement d'un passage le S. Augustin emprunt au De opere monachorum (ch. xxvm), passage qui a fourni a Calvin le commencement de son Trait des reliques : « Sainct Augustin, au livre qu'il a intitule « Du labeur des Moines », se complaignant d'aucuns porteurs de rogatons qui desj de son temps peroyent foire vilaine et deshonneste, portans a et l des reliques des Martyrs, adjouste : voire si ce sont reliques des martyrs. » . D'Achery (note 16), cite le texte d'Augustin comme ayant pu inspirer Guibert.

[2] V. Saint Anselme de Cantorbry par Ch. de Rmusat, d. 8°, pp. 457, 419 et suiv. C'est galement   Anselme que Guibert dut de connatre les uvres du pape S. Grgoire, pour lesquelles il s'prit d'une vive admiration et qui contiennent aussi quelques rflexions intressantes sur le culte des reliques (De vita, 1, 17).

[3] Remarquons,   propos du clbre philosophe, qu'il existe dans son uvre des dclarations intressantes contre les superstitions de son temps, les faux miracles, eic. (Sermo XXXI, de S. Joanne Baptista ; Opra, d. Ducliesne, p. 967). De tels sentiments ne sont pas surprenants chez lui.

[4] Remarquons que plusieurs conciles ont, par la suite, confirm cette thse de Guibert notamment le concile de Latran de 1215

[5] Les dtails donns   l'appui de cette assertion sont curieux   rapporter : Etsi in profani vulgi avans pectoribus capi potuerunt sictilia surdilates, affeciatae vesaniae. digiti studio reciprocati ad volam, vestigia contorta sub clunibus. Quid facit modestus et sapiens, qui praefert propositum sanctitatis, dum fautorem se praebelt in talibus

[6] Guibert accrot encore la porte de cette dclaration, en ajoutant ceci ; « On me priait cependant de rpter ce que j'entendais dire, de m'tendre sur les louanges d’inconnus, de les prcher mme au peuple ; si j'avais consenti   le faire, j'aurais t digne, aussi bien que ceux qui m'y poussaient, d'tre fltri publiquement. » Ce passage a dj t signal et traduit par M. Gaston Paris dans l'dition publie, en collaboration avec de la Vie de saint Gilles, pome du XIIe sicle. (Publication de la Socit des anciens textes franais, Paris, l88l, pp. XLV11-XLV111.)

[7] Cette question des reliques de S. Firmin mriterait d'tre examine   part. Nous avons, sur la dcouverte de ses restes par S. Geoffroy, un autre texte qui fournit d'intressants lments de comparaison avec celui de Guibert ; c'est la vie mme de l'vque d'Amiens, par le moine Nicolas, bndictin de l'abbaye de Saint-Crespin-le-Grand de Soissons, rdige vers « 140 et publie, avec des modifications et des arrangements, que la perte du lexie original ne permet plus de contrler, dans les Vita SS. de Surius, t. XI, p. 209-227. Cet hagiographie, crdule   l'excs, dpourvu de toute espce de critique, a en outre, vis--vis de Guibert, le dsavantage de n'avoir pas t le contemporain du saint dont il raconte l'histoire. Aussi son oeuvre a-t-elle au plus haut degr un caractre lgendaire et suspect. A ses yeux, le corps, dont Guibert prouve par de si bonnes raisons la non-authenticit, ne peut tre naturellement que celui de S. Firmin. Les hagiographes et annalistes de notre temps (l'abb Corblet, Hagiographie du diocse d'Amiens, II, p. 405, et l'abb Pcheur, Annales du diocse de Soissons, II, P. 21 3 et passim) se montrent sur ce point beaucoup moins favorables   l'gard de Guibert que ne l'a t leur devancier, d'Achery, dans sa note 12 dj cite. Ils prfrent manifestement le tmoignage de Nicolas a celui de Guibert, dont ils critiquent les tendances sceptiques, lui reprochant « son hostile partialit »   l'gard de S. Geoffroy. Sans doute, ils sont obligs de reconnatre ailleurs que le rcit du moine de Soissons fourmille, dans l'ensemble, d'invraisemblances et d'inexactitudes, mais ils n'en acceptent pas moins les donnes qu'il leur fournit en matire de miracles et de prodiges. Quand on voit, du reste, l'abb Pcheur (II, 296), travailleur si bien inform, viter de se prononcer sur l'authenticit de la sandale de la Vierge et les miracles produits par cette relique, on n'en saurait tre surpris. Ce serait un travail curieux utile de comparer dans le dtail les rcits de Guibert et du moine Nicolas en ce qui concerne S. Geoffroy. Je regrette que le dfaut de place m'interdise de l'entreprendre ici.

[8] II, i. Nec desunt alii qui umbilici superfluum quod nuper natis abscinditur, iunt qui circumcisi praeputium ipsius Domini liabeie se asserunt

[9] Hist. Litt. X, p. 492. Les Bndictins font remarquer qu' s'en tenir   un passage de la ddicace ( § 2) le 4e livre du De pignoribus aurait t compos avant les trois autres. Il me parait probable que Guibert l'a annex   son ouvrage, pensant qu'il le complterait assez heureusement et qu'il en attnuerait le caractre de polmique

[10] Le Trait des reliques, de Calvin, l'une des uvres franaises les plus mordantes et les plus acheves du clbre crivain, a paru pour la premire fois   Genve, en 1543, sous le titre : Advertissement trs utile du grand profit qui reviendroit   la chrestient s'il se faisoit inventaire de tous les corps saints et reliques, qui sont tant en Italie qu'en France, Allemaigne,Hespaigne et autres Royaumes et pays, par M. Jehan Calvin. — II a t souvent rdite depuis. L'dition la plus accessible, avec celle du Corpus Reformatorum, a t donne   Genve par Fick. On trouvera dans cettee dernire (pp. 9, 12, i3, 18, 23, 26, 27, 36, 47, 54, 55, sur les chefs de S. Jcan-Bapliste, 83, etc. les passages qui traitent plus particulirement de reliques analogues   celles qui se trouvent vises dans le De pignoribus.

 

La proprit intellectuelle du contenu de ce site est protge par un dpt   la Socit des Gens de Lettres

Page prcdentehaut de page Accueil 

nous crire